Le crépuscule des petites bêtes ?

La presse grand public publie régulièrement d’inquiétants articles sur la disparition imminente des insectes au sens large, ou des pollinisateurs, ou des papillons. Et d’insister sur les graves retentissements que cela aurait sur l’avifaune, sur l’agriculture, et bien d’autres calamités !  Les sources scientifiques de ces articles, quand elle existent, sont souvent de faible niveau de preuve.
Les insectes sont-ils vraiment menacés ? 
Le sont-ils tous ? 
Dans l’affirmative, quelle sont la nature et l’intensité de ces menaces sur l’entomofaune ?
Verrons-nous bientôt la 11e plaie d’Egypte ?


Une amusante étude anglaise a tenté de répondre à cette question. 
La méthode est analogue au « phénomène du pare-brise », terme donné à l’observation anecdotique selon laquelle les gens ont tendance à trouver moins d’impacts d’insectes sur le pare-brise de leur voiture aujourd’hui que par le passé. L’enquête se déroule chaque été et implique des investigateurs bénévoles du Royaume-Uni qui enregistrent le nombre de traces d’insectes sur la plaque d’immatriculation de leur véhicule après un trajet,  une fois enlevés les insectes résiduels des trajets précédents.
Dans ce rapport, le nombre d’insectes échantillonnés sur les plaques d’immatriculation des véhicules en 2019 (n = 519 trajets dans le Kent), en 2021 (n = 3212 trajets dans tout le pays), et en 2006 (n = 3 000 trajets dans tout le pays). = 3212 trajets dans tout le pays) et 2022 (n = 4140 trajets dans tout le pays) sont comparés aux résultats d’une enquête nationale utilisant cette méthodologie et menée par la RSPB (« Big Bug Count ») en 2004 (n = 14320 trajets).
La conclusion de l’étude semble sans appel : par rapport à 2004, les résultats montrent une diminution du nombre d’éclaboussures d’insectes au Royaume-Uni de 63,7%, soit 5,3% de plus qu’en 2021 (58,4%).

Néanmoins, les auteurs mettent en garde  les lecteurs contre des biais potentiels à leur travail mais la tendance semble réelle !
« Ces résultats sont cohérents avec les tendances à la baisse des populations d’insectes largement rapportées par d’autres, et pointent un besoin persistant de recherche, de politique et de pratique de préservation ciblées sur les insectes au Royaume-Uni. Cependant, cette étude est basée sur des données de moyenne qualité, et par conséquent, nous interprétons ces changements avec prudence. La variation inter-annuelle d’une série de facteurs non mesurés qui pourraient influencer l’activité ou l’abondance des des insectes volants, comme les records de 2022, pourraient influencer de manière significative les observations. Pour tirer des conclusions solides sur les tendances à long terme des populations d’insectes au Royaume-Uni, les scientifiques doivent recueillir des  données sur plusieurs années, sur de longues périodes et sur de grandes échelles spatiales. 


Les naturalistes semblent d’accord sur un point : les fluctuations du nombre d’insectes sont souvent importantes d’une année sur l’autre, en fonction des épisodes de sécheresse ou d’inondations, de la durée de l’ensoleillement, du gel, etc. Beaucoup d’études sur l’évolution dans le temps de l’avifaune sont controversées, produites par des associations et pas des universités, reposant sur des données fragiles et des méthodologies peu robustes…

Désireux d’en apprendre davantage, j’ai fait une petite recherche documentaire  et j’en ai retenu 2 articles


1er article(en 🇬🇧) de la revue Nature (dont on ne peut nier le sérieux) est le suivant : Robust evidence of declines in insect abundance and biodiversity .

Les résultats montrent clairement un déclin substantiel de l’abondance des arthropodes et de la biodiversité.  Les prairies ont été particulièrement touchées : la richesse en espèces  d’arthropodes a chuté de 34 % au cours de la période de suivi, et la biomasse et le nombre d’arthropodes enregistrés ont chuté de 67% et 78% respectivement. Ces déclins ont été particulièrement importants dans les paysages où prédominent les terres agricoles, suggérant que la gestion des cultures pourrait être à l’origine de cette baisse. Les pertes parmi les les arthropodes vivant dans les forêts étaient moins marqués en comparaison, avec une baisse de 36 % de la richesse en espèces, une perte de 41 % de la biomasse et aucun aucun déclin de population statistiquement significatif. 


Voici la conclusion du 2e article (toujours en 🇬🇧) : Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers.

La biodiversité des insectes est menacée dans le monde entier. Nous présentons ici un examen complet de 73 rapports historiques sur le déclin des insectes dans le monde entier, et nous évaluons systématiquement les facteurs sous-jacents. Notre travail révèle des taux de déclin dramatiques qui pourraient conduire à l’extinction de 40% des espèces d’insectes dans le monde au cours des prochaines décennies. Dans les écosystèmes terrestres, les lépidoptères, les hyménoptères et les bousiers (Coleoptera) semblent être les taxons les plus touchés, tandis que quatre grands taxons aquatiques (Odonata, Plecoptera, Trichoptera et Ephemeroptera) ont déjà perdu une proportion considérable d’espèces. Les groupes d’insectes touchés comprennent non seulement des spécialistes qui occupent des niches écologiques particulières, mais aussi de nombreuses espèces communes et généralistes. Parallèlement, l’abondance d’un petit nombre d’espèces augmente ; il s’agit d’espèces généralistes adaptables qui occupent les niches laissées vacantes par les espèces en déclin. Parmi les insectes aquatiques, les généralistes de l’habitat et du régime alimentaire, ainsi que les espèces tolérantes aux polluants, remplacent les importantes pertes de biodiversité enregistrées dans les eaux des zones agricoles et urbaines. Les principaux facteurs de déclin des espèces semblent être, par ordre d’importance : 1. la perte d’habitat et la conversion à l’agriculture intensive et à l’urbanisation ; 2. la pollution, principalement celle causée par les pesticides et les engrais de synthèse ; 3.  les facteurs biologiques, notamment les agents pathogènes et les espèces introduites ; et 4.  le changement climatique. Ce dernier facteur est particulièrement important dans les régions tropicales, mais n’affecte qu’une minorité d’espèces dans les climats plus froids et les milieux montagneux des zones tempérées. Il est urgent de repenser les pratiques agricoles actuelles, notamment en réduisant fortement l’utilisation des pesticides et en les remplaçant par des pratiques plus durables et écologiques, afin de ralentir ou d’inverser les tendances actuelles, de permettre le rétablissement des populations d’insectes en déclin et de sauvegarder les services écosystémiques vitaux qu’ils fournissent. En outre, des technologies d’assainissement efficaces devraient être appliquées pour nettoyer les eaux polluées dans les environnements agricoles et urbains.

Mais ce travail lui-même est remis en question par d’autres chercheurs (en 🇬🇧): 
Insect decline and its drivers: Unsupported conclusions in a poorly performed meta-analysis on trends—A critique of Sánchez-Bayo and Wyckhuys (2019)


Ma conclusion est la suivante : des faisceaux d’indices concordants laissent à penser que les populations d’insectes sont en déclin dans le monde entier, mais la nature et l’intensité de ce déclin restent à évaluer ! Ce qui ne dispense pas d’agir dès à présent, au contraire !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Y-a-t-il une crise des insectes, notamment pollinisateurs ? Pr Emmanuelle Porcher, 18 avril 2023
  2. The bugs matter.
  3. Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers. Francisco Sánchez-Bayo a, Kris A.G. Wyckhuys
  4. Insect decline and its drivers: Unsupported conclusions in a poorly performed meta-analysis on trends—A critique of Sánchez-Bayo and Wyckhuys (2019)

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