Eau courante et algues à tous les étages

© M. Arnould

Quel monde fascinant que celui de l’estran ! Alternativement subermergé et émergé, les conditions de vie des habitants qu’il héberge ne sont sont guère confortables, qui fluctuent gravement au gré des marées et de la météo. Lorsque le visiteur parvient à l’étage supra-littoral de l’estran, l’une des premières choses qu’il y remarque sont les lichens et les algues qui peignent le sable et les rochers.

Wikipédia nous explique ce que sont les algues :  des organismes vivants capables de produire de la photosynthèse oxygénique et dont le cycle de vie se déroule généralement en milieu aquatique. Elles constituent une part très importante de la biodiversité et la base principale des chaînes alimentaires des eaux douces, saumâtres et marines.  Les algues ne constituent pas un groupe évolutif unique, mais rassemblent toute une série d’organismes pouvant appartenir à des groupes phylogénétiques très différents. De fait, les algues ont souvent été définies par défaut, par simple opposition aux végétaux terrestres ou aquatiques pluricellulaires.

Malgré les incertitudes quant aux organismes qui devraient être considérés comme des algues, un inventaire établi en 2012, d’après la base de données AlgaeBase (qui inclut 15 phyla et 64 classes mais ne prend pas en compte les quelque 200 000 espèces de diatomées (microalgues siliceuses), recense plus de 170 000 espèces d’algues différentes.

Les algues se répartissent du haut en bas de l’estran en fonction :

  • De leur équipement pigmentaire.
  • De leur capacité à résister à la déshydratation le temps d’une basse mer. 
  • De leur exposition aux vagues, en mode plus ou moins battu.
  • De l’amplitude des marées
  • De la configuration de l’estran.
  • De la luminosité liée à l’orientation de l’estran.

Les algues capables de résister à la dessiccation et à l’exposition à l’air se trouveront dans la zone supérieure de l’estran. Les algues qui ont besoin d’un environnement humide se trouvent dans la zone inférieure. Certaines algues préfèrent être immergées dans l’eau en permanence, tandis que d’autres peuvent survivre dans des zones intertidales. Les algues ont une tolérance variable selon les espèces aux facteurs environnementaux tels que la salinité, la température et la qualité de l’eau. Certaines algues peuvent tolérer des conditions environnementales extrêmes et vivre dans des zones où d’autres organismes ne le peuvent pas.

En fin de compte, la répartition des algues le long de l’estran dépend d’une combinaison complexe de ces facteurs et peut varier en fonction des conditions locales de chaque environnement. Le tableau ci-dessous est une bonne synthèse des modalités de répartition des algues sur l’estran.

Source du tableau

Laissez-moi faire les présentations de tous ces habitants. Un clic sur l’hyperlien de chacune de ces algues ou de ces lichens vous donnera accès à une photographie de l’espèce et à l’ensemble des caractéristiques de l’espèce.

  • Verrucaria maura désormais nommée Hydropunctaria maura ou Verrucaire noire, en terme vernaculaire, est un lichen encroûtant de la famille des Verrucariaceae. Il s’agit d’une espèce strictement maritime vivant dans l’étage supralittoral, juste au-dessus de la limite supérieure de l’estran. De couleur noire, ce lichen forme à ce niveau une ceinture caractéristique sur les rivages marins de nombreuses régions du monde. Son aspect rappelle des dépôts dus à une sinistre marée noire. Sur les zones côtières, la zone noire dominée par Hydropunctaria maura souligne le niveau des plus hautes mers et marque le passage au milieu terrestre.
  • Lichina pygmaea est également un lichen
Source

Les algues vertes sont un ensemble d’algues dont les pigments photosynthétiques principaux sont les chlorophylles a et b, elles sont généralement de couleur verte.

Les algues brunes, nommées Phaeophyceae ou Phéophycées, sont une classe d’algues de l’embranchement des Ochrophyta. Ce sont des algues qui utilisent comme pigment collecteur de lumière de la chlorophylle c combinée à un pigment brun, la fucoxanthine. Leur taille varie de l’échelle microscopique à plusieurs dizaines de mètres. 

Les algues rouges (division des Rhodophyta), sont un grand taxon d’algues pour la plupart marines et pour la plupart multicellulaires (la plupart sont sessiles, c’est-à-dire qu’elles se développent fixées sur un substrat quelconque). Elles sont caractérisées par une composition pigmentaire avec un seul type de chlorophylle, la chlorophylle a, des caroténoïdes et des pigments caractéristiques, les phycobiliprotéines. 

BIBLIOGRAPHIE

  • Algues, l’autre forêt. Epsiloon n°20, février 2023. Les scientifiques commencent à peine à saisir l’ampleur de ce monde englouti : prodigieux refuges de biodiversité et pièges à carbone hors normes, les forêts marines n’ont rien à envier aux jungles terrestres. Au point de susciter déjà les mêmes convoitises.
  • Les forêts de macroalgues sont un écosystème majeur sur la planète : Les habitats de macroalgues sont considérés comme les plus étendus et les plus productifs de tous les écosystèmes végétaux côtiers. Contrairement à l’attention croissante portée à leur contribution à l’exportation et à la séquestration du carbone, la compréhension de leur étendue et de leur production à l’échelle mondiale est limitée et est restée mal évaluée pendant des décennies. Nous présentons ici une première évaluation de l’étendue et de la production mondiales des habitats de macroalgues, basée sur des distributions modélisées et observées et sur la production primaire nette (PPN) à travers les types d’habitats.
  • Les algues ont un rôle important dans le stockage du carbone : Les algues brunes convertissent chaque année des gigatonnes de dioxyde de carbone en hydrates de carbone, dont le polysaccharide complexe de la matrice extracellulaire, le fucoidan. En raison de sa persistance dans l’environnement, le fucoïdane est potentiellement une voie de piégeage du carbone marin. Les taux de sécrétion de fucoïdane par les algues brunes restent inconnus en raison de la difficulté d’identifier et de quantifier des polysaccharides complexes dans l’eau de mer. Nous avons adapté les techniques de chromatographie d’échange d’anions, de dosage immuno-enzymatique et de dosage biocatalytique à base d’enzymes pour la détection et la quantification du fucoïdane. Nous avons constaté que l’algue brune Fucus vesiculosus sur la côte de la mer Baltique, au sud-ouest de la Finlande, sécrète 0,3 % de sa biomasse sous forme de fucoïdane par jour. Les concentrations de fucoïdan dissous dans l’eau de mer adjacente aux algues ont atteint jusqu’à 0,48 mg L-1. Le fucoïdane s’est accumulé pendant les incubations de F. vesiculosus, significativement plus à la lumière qu’à l’obscurité. L’estimation maximale par hydrolyse acide a indiqué une sécrétion de fucoïdane à un taux de 28 à 40 mg C kg-1 h-1, représentant 44 à 50 % de tout le carbone organique dissous exsudé. Composée uniquement de carbone, d’oxygène, d’hydrogène et de soufre, la sécrétion de fucoïdane ne consomme pas de nutriments, ce qui permet la séquestration du carbone indépendamment de la croissance des algues. Extrapolées sur une année, les algues séquestrent plus de carbone dans le fucoïdan sécrété que dans leur biomasse. L’utilité globale de la sécrétion de fucoïdane est une voie alternative pour l’élimination du dioxyde de carbone par les algues brunes sans qu’il soit nécessaire de récolter ou d’enfouir la biomasse des algues.
  • Une tentative japonaise d’utiliser ces écosystèmes en crédit carbone : Le concept de « carbone bleu » et le rôle du carbone bleu stocké dans les écosystèmes côtiers peu profonds dans l’atténuation du changement climatique ont attiré l’attention du monde entier. Outre les écosystèmes typiques du carbone bleu, tels que les mangroves, les marais intertidaux et les prairies sous-marines, les lits de macroalgues et la culture de macroalgues sont également de plus en plus reconnus comme des puits potentiels de carbone bleu. Des politiques et des méthodologies efficaces sont importantes pour la conservation et l’expansion des puits de carbone bleu, ainsi que pour la réduction du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère qui en découle. L’une des méthodes les plus efficaces est le système de crédits compensatoires de carbone. Toutefois, à ce jour, presque tous les systèmes de crédits ont été mis en œuvre pour les mangroves et les marais salants. Aucun n’a été mis en œuvre pour les prairies marines, les lits de macroalgues et la culture de macroalgues, bien que leur potentiel d’absorption de CO2 soit important. Nous examinons ici trois projets de crédits compensatoires de carbone bleu pour les prairies sous-marines, les lits de macroalgues et la culture de macroalgues mis en œuvre au Japon. Nous présentons les projets de crédits compensatoires de carbone bleu (1) de la ville de Yokohama, le premier au monde ; (2) de la ville de Fukuoka, le deuxième projet de ce type au Japon ; et (3) le premier projet de démonstration du gouvernement national japonais. En outre, nous soulignons leurs caractéristiques en les comparant à d’autres projets de compensation de carbone bleu. Enfin, nous discutons de la nécessité d’accélérer les projets de crédits compensatoires de carbone bleu et les initiatives connexes à l’avenir.

Terminons cet article par une poésie de Victor Hugo. Puisse-t-elle adoucir — ainsi l’espère l’auteur —l’aridité apparente de l’exposé (si je puis dire, s’agissant d’un billet sur les algues marines…)

A celle qui est voilée
Victor Hugo

Tu me parles du fond d’un rêve
Comme une âme parle aux vivants.
Comme l’écume de la grève,
Ta robe flotte dans les vents.
Je suis l’algue des flots sans nombre,
Le captif du destin vainqueur ;
Je suis celui que toute l’ombre
Couvre sans éteindre son coeur.
Mon esprit ressemble à cette île,
Et mon sort à cet océan ;
Et je suis l’habitant tranquille
De la foudre et de l’ouragan.
Je suis le proscrit qui se voile,
Qui songe, et chante, loin du bruit,
Avec la chouette et l’étoile,
La sombre chanson de la nuit.
Toi, n’es-tu pas, comme moi-même,
Flambeau dans ce monde âpre et vil,
Ame, c’est-à-dire problème,
Et femme, c’est-à-dire exil ?
Sors du nuage, ombre charmante.
O fantôme, laisse-toi voir !
Sois un phare dans ma tourmente,
Sois un regard dans mon ciel noir !
Cherche-moi parmi les mouettes !
Dresse un rayon sur mon récif,
Et, dans mes profondeurs muettes,
La blancheur de l’ange pensif !
Sois l’aile qui passe et se mêle
Aux grandes vagues en courroux.
Oh, viens ! tu dois être bien belle,
Car ton chant lointain est bien doux ;
Car la nuit engendre l’aurore ;
C’est peut-être une loi des cieux
Que mon noir destin fasse éclore
Ton sourire mystérieux !
Dans ce ténébreux monde où j’erre,
Nous devons nous apercevoir,
Toi, toute faite de lumière,
Moi, tout composé de devoir !
Tu me dis de loin que tu m’aimes,
Et que, la nuit, à l’horizon,
Tu viens voir sur les grèves blêmes
Le spectre blanc de ma maison.
Là, méditant sous le grand dôme,
Près du flot sans trêve agité,
Surprise de trouver l’atome
Ressemblant à l’immensité,
Tu compares, sans me connaître,
L’onde à l’homme, l’ombre au banni,
Ma lampe étoilant ma fenêtre
A l’astre étoilant l’infini !
Parfois, comme au fond d’une tombe,
Je te sens sur mon front fatal,
Bouche de l’Inconnu d’où tombe
Le pur baiser de l’Idéal.
A ton souffle, vers Dieu poussées,
Je sens en moi, douce frayeur,
Frissonner toutes mes pensées,
Feuilles de l’arbre intérieur.
Mais tu ne veux pas qu’on te voie ;
Tu viens et tu fuis tour à tour ;
Tu ne veux pas te nommer joie,
Ayant dit : Je m’appelle amour.
Oh ! fais un pas de plus ! Viens, entre,
Si nul devoir ne le défend ;
Viens voir mon âme dans son antre,
L’esprit lion, le coeur enfant ;
Viens voir le désert où j’habite
Seul sous mon plafond effrayant ;
Sois l’ange chez le cénobite,
Sois la clarté chez le voyant.
Change en perles dans mes décombres
Toutes mes gouttes de sueur !
Viens poser sur mes oeuvres sombres
Ton doigt d’où sort une lueur !
Du bord des sinistres ravines
Du rêve et de la vision,
J’entrevois les choses divines… –
Complète l’apparition !
Viens voir le songeur qui s’enflamme
A mesure qu’il se détruit,
Et, de jour en jour, dans son âme
A plus de mort et moins de nuit !
Viens ! viens dans ma brume hagarde,
Où naît la foi, d’où l’esprit sort,
Où confusément je regarde
Les formes obscures du sort.
Tout s’éclaire aux lueurs funèbres ;
Dieu, pour le penseur attristé,
Ouvre toujours dans les ténèbres
De brusques gouffres de clarté.
Avant d’être sur cette terre,
Je sens que jadis j’ai plané ;
J’étais l’archange solitaire,
Et mon malheur, c’est d’être né.
Sur mon âme, qui fut colombe,
Viens, toi qui des cieux as le sceau.
Quelquefois une plume tombe
Sur le cadavre d’un oiseau.
Oui, mon malheur irréparable,
C’est de pendre aux deux éléments,
C’est d’avoir en moi, misérable,
De la fange et des firmaments !
Hélas ! hélas ! c’est d’être un homme ;
C’est de songer que j’étais beau,
D’ignorer comment je me nomme,
D’être un ciel et d’être un tombeau !
C’est d’être un forçat qui promène
Son vil labeur sous le ciel bleu ;
C’est de porter la hotte humaine
Où j’avais vos ailes, mon Dieu !
C’est de traîner de la matière ;
C’est d’être plein, moi, fils du jour,
De la terre du cimetière,
Même quand je m’écrie : Amour !
Victor Hugo, Les contemplations

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