Les loyers excessifs de l’éponge

Dans un précédent article, nous fîmes, enchantés, la connaissance de Corystes cassivelaunus, le crabe équipé de série d’un schnorchel lui permettant de « respirer » dans le sable où il s’enfouit, et d’Elysia viridis, la limace de mer toute mignonne qui fait de la photosynthèse après avoir intégré dans ses cellules les chloroplastes des algues qu’elle broute.

Voici l’histoire étonnante de l’association, bénéfique pour les deux parties comme dirait l’avocat de permanence, d’une éponge et d’un Bernard-l’ermite. Nous sommes en direct de l’estran ordinaire où d’extraordinaires éléments se déroulent quotidiennement dans une indifférence incompréhensible pour ne pas dire répréhensible tant l’émerveillement devrait être de rigueur !

  1. Suberites pagurorum est une éponge de mer de la famille des Suberitidae. On la nomme volontiers Subérite des pagures sur l’estran, où l’on préfère ne pas abuser du latin.
  2. Le Pagure poilu, (Pagurus cuanensis) est un crustacé de la super-famille des Paguroidea. Il vit, comme tous les Bernard l’ermite, dans des coquilles abandonnées; et tandis qu’il grandit au cours de sa vie, il doit, maintes fois, abandonner sa coquille devenue trop petite pour s’en aller quérir un logement plus spacieux. Grands sont alors les dangers qui guettent ce SCF (Sans Coquille Fixe)!

Les présentations sont faites. Voici le déroulement des événements, sous vos yeux ébahis !

L’éponge se fixe avec soin sur la coquille occupée par le pagure puis elle va se développer, et s’envelopper tout autour de la coquille, comme la couverture autour du campeur transi devant son maigre feu.

Ensuite, elle sécrétera patiemment des substances acides qui dissoudront totalement cette coquille. Une fois l’ouvrage accompli, le Bernard-l’ermite ne vivra plus dans une coquille calcaire, de taille finie, mais bien dans une éponge, qui lui apportera protection et camouflage. Le grand confort !

Désormais, plus besoin de changer de coquille, l’habitacle de l’éponge grandissant avec le pagure. Le rêve de tout locataire ! Par un juste retour des choses, en récompense de son labeur et de sa prolixité, l’éponge se nourrira des déchets du Pagure poilu par filtration, bénéficiant d’un approvisionnement continu en nourriture. Tous les associés y trouvent donc leur compte.

Un petit détail, pour être complet : les Subérites peuvent atteindre la taille, respectable pour un Bernard-l’ermite, de 10 cm ! On peut entendre sur l’estran, à basse mer et par temps calme, les Pagure poilus pester dans leur fort intérieur d’avoir à charrier un tel volume. Le prix du loyer, en quelque sorte, que chaque locataire trouve toujours excessif !

Documentation

1. Le Pagure poilu. INPN
2. Suberites pagurorum. Doris

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