L’extraordinaire de l’estran ordinaire

© Michel Arnould


Il se prénommait Prosper. L’important n’était pas qui il était, ni comment il se nommait, mais bien ce qu’il faisait là, sur cette plage battue par le vent, à la basse mer. Les goélands argentés ricanaient en le regardant de haut, avec ses bottes et sa loupe, à l’évidence fort incongrues sur cette grève  ! 

Lorsque Prosper, donc, arriva sur l’estran pour une 3e exploration naturaliste, encadré par les experts et les animateurs de Bretagne Vivante, son oeil curieux  et vigilant ne manqua pas d’être immédiatement attiré, par les habitants pléthoriques des rochers (Balanes et Patelles) et par ceux de la plage, ces vers arénicoles (Arenicola marina) qui font d’étranges petites dépressions et petits tas de sable intriguant les enfants curieux venus bâtir des châteaux. 

Il fut ensuite fort ébaubi par l’enthousiasme des naturalistes qui, au détour d’une flaque, au fond d’une crevasse ou sous un rocher, découvraient un animalcule que nul béotien n’aurait jamais vu tout seul, avant de déclamer avec ferveur le nom scientifique (en latin bien sûr) de leur extraordinaire trouvaille : Colpomenia peregrina, Patella vulgata, Nucella lapillus, Corystes cassivelaunus, Elysia Viridis ! Bienvenue à tous !

L’élève estranologue comprit rapidement qu’il lui faudrait d’abord apprendre à regarder avec soin, à éduquer et entraîner son oeil, avec patience et opiniâtreté, pour découvrir les merveilles de ce microcosme, qui, à l’évidence ne se révèlent pas au premier venu, en tout cas pas au passant pressé.

Il comprit ensuite que l’identification de ces nombreux êtres vivants ne se ferait pas en un jour, ni en un mois ni même en une année. Il comprit aussi qu’il lui faudrait venir et revenir rendre visite, avec patience et assiduité, qu’il faudrait, finalement, aimer ce petit monde pour le bien appréhender ! Longue est la liste des embranchements visibles sur l’estran : la tâche de les connaître tous est incommensurable pour ne pas dire surhumaine !

Prosper accepta humblement et sagement son ignorance (sur ce sujet comme tant d’autres d’ailleurs) et décida, dans un lâcher prise admirable de se contenter d’admirer ces habitants de l’estran, leur éclectisme, leur richesse, et, souvent leur extrême beauté ! Et, le moins que l’on puisse dire est que Dame Nature se montra bien généreuse cette après-midi-là !

Il put admirer deux jolis coquillages, de la famille des mollusques :
1. La Pourpre petite pierre (Nucella lapidus) un carnivore qui se nourrit d’autres mollusques et de crustacés comme les balanes dans les parties moyenne et basse de l’estran; cette espèce, sensible à la pollution, est une espèce-sentinelle, utilisée comme bio indicateur en France par l’Ifremer notamment.
2 La Littorine des rochers (Littorina saxatilis) : joli petit gastéropode citron, herbivore, se régalant d’algues microscopiques à la surface des rochers (comme les diatomées), des fucus spiralés, des pelvéties et de divers détritus d’algues qu’il broute au moyen de sa radula râpeuse.

Chemin faisant, Prosper découvrit qu’il n’était nul besoin de voyager en Polynésie ou dans l’Océan Indien, pour rencontrer des récifs ! Certes les récifs qui se dévoilèrent au gré du jusant, n’avaient rien de coralliens, mais tout de même ! Les Hermelles (Sabellaria alveolata) sont des vers marins, long de quatre centimètres, tubicoles, capables de produire des « pseudorécifs », dont certains, en baie du Mont-Saint-Michel sont remarquables comme en atteste ce document remarquable.

Dans une petite flaque d’eau de mer, illuminée fort à propos par les rayons du soleil, Prosper put admirer une belle anémone de mer (Anemonia viridis), animal de l’embranchement des Cnidaires, classe des Zoantharia et ordre des Actinaria, aux bras vert émeraude en proximal et  violets en discal, fort élégants dans le courant, mais volontiers urticants si on les touche. Il se contenta, sagement, de les observer et prit garde de ne pas les toucher.

Soudain, brisant l’harmonie du bruit des vagues et du vent conjugués, un naturaliste héla véhémentement la petite troupe, manifestement excité par une jolie découverte ! Un Crabe masqué !  (Corystes cassivelaunus) Corystes présente la particularité d’avoir joint ses deux antennes en une espèce de schnorchel lui permettant de « respirer » une fois enseveli sous le sable où il se cache, en marche arrière et avec brio ! Apprendre l’étymologie du nom scientifique de de crustacé instilla un soupçon de de mystère à cette étonnante découverte :  Corystes vient du grec et signifie « armer », quand le nom d’espèce, cassivelaunus, est le nom latinisé par César d’un glorieux chef de Grande-Bretagne. Quand l’histoire rejoint la science naturaliste !

Mais l’émerveillement le plus marquant de cette sortie — le croirez-vous ? — fut cette première rencontre de Prosper avec Elysia viridis : une limace de mer vert émeraude, fort jolie au demeurant, et à la physiologie stupéfiante! Jugez donc : Elysia viridis, limace suceuse de sève, est une espèce de limace de mer verte de petite taille, un mollusque gastéropode opisthobranche marin de la famille des Plakobranchidae. Cette limace de mer ressemble à un nudibranche, mais elle n’est pas étroitement liée à ce clade de gastéropodes. Il s’agit plutôt d’un sacoglosse. Elle vit dans la zone intertidale et jusqu’à une profondeur d’environ 5 m et elle peut atteindre une longueur totale de 30 mm. Son corps est lisse, vert ou brun brillant, avec des taches iridescentes et deux ailes qui s’étendent sur les côtés. Une limace ailée ! Premier étonnement !
Notre ami Proper resta bouche bée quand on lui expliqua que cet animal vit dans une relation « endosymbiotique subcellulaire avec des chloroplastes » fournis par une algue. Cela mérite une petite explication : Elysia mange de l’algue Codium fragile. Les chloroplastes de cette algue sont ensuite intégrés à l’intérieur des cellules de la limace… dans un état fonctionnel… donnant à Elysia, un animal, des capacités de photosynthèse ! (On parle de kleptoplastie). Une limace ailée capable de photosynthèse ! Qui eût cru cela possible ?

Décidément, l’estran ordinaire recèle bien des mystères et des merveilles extraordinaires !

Affaire à suivre, à l’évidence !

2 réflexions sur “L’extraordinaire de l’estran ordinaire

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