Manger des épinards ? Faux le fer !


Pendant une randonnée, une amie nous expliqua que pour lutter contre sa fatigue hivernale, elle consommait beaucoup d’épinards, réputés, nous rappela-t-elle, pour leur teneur en fer. 

Or l’on sait, en 2024, que les épinards sont à peine plus riches en fer (1,3 g/100 ml) que la laitue (0,98 gl) et qu’ils le sont deux fois moins que l’oseille (2,4 g) !  Il est possible de confirmer ces informations sur l’excellente base de données Ciqual, de l’ANSES,  qui donne 3,61 mg de fer pour 100 g d’épinards crus. Il semble, si l’on est végétarien et que l’on a besoin de fer, qu’il vaille mieux manger du thym séché qui contient 234 mg de fer pour 100 g voire du basilic ou de la menthe séchés !  Vérifier ici

Comment le mythe selon lequel les épinards sont riches en fer est-il devenu une légende académique et urbaine ? Trois hypothèses principales prévalent dans la littérature : 

  1. Gustav von Bunge (1844-1920), un scientifique suisse de la fin du XIXe siècle, aurait commis une erreur de décimale qui a conduit à une surestimation décuplée de la teneur en fer. 
  2. Emil von Wolff (1818-1896), scientifique allemand, aurait commis une erreur décimale dans sa compilation des teneurs en minéraux des légumes et des plantes, ce qui a conduit à une surestimation décuplée de la teneur en fer des épinards. 
  3. Dans les premiers travaux de biochimie, la teneur en fer présentée en poids sec a été confondue avec le poids frais des plantes.

L’affaire paraissait complexe, presque inextricable, jusqu’à la publication d’un article magistral, s’appuyant sur de nombreuses références de la littérature, tentant d’expliquer la construction du mythe et sa pérennité. [1]. En voici, ci-après, quelques extraits.

L’affirmation selon laquelle les épinards contiennent beaucoup de fer est l’un des mythes les plus célèbres de la science. Au cours des dernières décennies, cette erreur précoce est devenue largement connue du public et plusieurs théories ont été avancées pour expliquer la naissance de cette idée fausse. La plus célèbre, connue sous de nombreuses formes et rapportée dans de nombreux livres et revues scientifiques, est qu’une simple erreur décimale s’est produite. Plus récemment, on a prétendu que l’histoire de l’erreur décimale était elle-même un mythe et que Popeye, contrairement à la croyance populaire, ne mangeait pas d’épinards en raison de leur teneur en fer.

Malheureusement, on ne sait pas grand-chose sur la manière dont les légendes universitaires urbaines et les croyances populaires erronées en médecine et en sciences naturelles se développent et sur la manière dont les faits et les erreurs sont popularisés. 

C’est pourquoi une recherche bibliographique intensive a été effectuée, couvrant tous les articles scientifiques, de magazines et de journaux, les manuels, les encyclopédies et la littérature grise liés au sujet et pouvant être localisés. 

Les résultats de cette recherche bibliographique ont révélé un puzzle de citations d’une histoire complexe sur la façon dont le mythe des épinards riches en fer est né bien plus tôt qu’on ne le pensait et comment il a été rapporté et popularisé dans la littérature. Il s’agissait au départ d’une simple note secondaire dans l’une des disputes scientifiques, culturelles, philosophiques et religieuses les plus virulentes du XIXe siècle. Elle a également révélé une série d’erreurs aux multiples facettes et une série d’interactions à plusieurs niveaux entre des scientifiques de différentes disciplines et des journalistes, qui ont finalement conduit à promouvoir les épinards comme étant riches en fer après que l’on ait découvert que c’était exagéré, et plus tard à déboulonner ce mythe, tout en introduisant simultanément de nouvelles couches à la légende

Bref, il est clair que les épinards ne sont pas riches en fer, et l’origine de cette légende relève d’une association d’erreurs, d’approximations, et de manipulations. La base de données CIQUAL de l’ANSES permet de déterminer la composition précise d’un grand nombre d’aliments, et de rechercher les aliments les plus riches en fer, en calcium, en vit C, etc. Un outil fort utile !

Documentation

  1. Spinach in Blunderland: How the myth that spinach is rich in iron became an urban academic legend. Mielewczik, Michael & Moll, Janine. (2019). Voir l’article en 🇬🇧
  2. Ciqual, LA base de données de composition des aliments de l’ANSES. Voir ici

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