À syrinx déployées !

© Michel Arnould – Avec Dall-e

Pour peu que nous y soyons attentifs, en ville comme à la campagne, en forêt comme en bord de mer, dans les prés comme dans les roselières, et de jour comme de nuit, les oiseaux occupent avec efficacité l’espace sonore de nos paysages. Ils vocalisent comme bien des mammifères, des amphibiens et même des poissons. Si, si, les poissons aussi vocalisent, j’ai écrit un article sur ce sujet, mais les oiseaux sont à l’évidence de bien meilleurs chanteurs que les poissons, grâce à un organe vocal étonnant, la syrinx, leur permettant de proférer gazouillis, sifflements, trilles, croassements et tambourinades !

Etymologie d’un organe et anatomie d’un chant

Syrinx, nom féminin, est un emprunt (1752) au latin syrinx, syringis « roseau » et « flûte de Pan », lui-même emprunté au grec surinx désignant des objets longs et étroits, « flûte de berger », « étui », « galerie, couloir » et, chez les médecins, « trachée, veine ». Le mot désigne toute flûte de la Grèce ancienne et, spécialement, la flûte de Pan. Par analogie, syrinx est en zoologie (1904) le nom du larynx inférieur des oiseaux leur permettant de se faire entendre (source : dictionnaire étymologique de la langue française, Alain Rey).

La syrinx des oiseaux est un organe complexe situé entre la trachée et l’embranchement des deux bronches souches. Elle est constituée de membranes disposées sur la trachée et sur chaque bronche. Au passage de l’air, ces membranes vibrent et produisent les sons. L’oiseau peut ensuite moduler ce son en contrôlant la tension de muscles spécialisés qui modifient la tension des membranes, faisant varier l’espace entre celles-ci et produisant un large panel de sonorités. Les membranes peuvent vibrer indépendamment et émettre deux sons simultanés, permettant des chants à deux voix. La syrinx produit ainsi des sons complexes et mélodieux.

Les sacs aériens des oiseaux sont appendices à paroi mince des poumons, qui, comme des soufflets, accroissent les flux d’air dirigés vers les poumons et permettent ainsi une oxygénation accrue du sang des oiseaux. Cependant, aucun échange de gaz n’a lieu dans ces sacs dont la fonction est essentiellement mécanique.
Les sacs aériens participent également à la vocalisation. Les expirations à haute fréquence sont modulées dans la syrinx par un flux d’air continu, unidirectionnel et persistant pendant l’inspiration et l’expiration. Ainsi les oiseaux peuvent-ils chanter, fort, parfois très fort et surtout pendant longtemps, parfois très longtemps. La troisième fonction importante des sacs d’air est leur participation à la thermorégulation , mais c’est un autre sujet.

Tout ceci est expliqué clairement dans cette vidéo en 🇬🇧, sous-titrée, dont je vous recommande chaleureusement la lecture car elle montre avec une extraordinaire clarté le fonctionnement conjoint de la syrinx et des sacs aériens lors des vocalisations.

Oyez, oyez ces chants mélodieux !

Les chants sont en général constitués de plusieurs unités sonores — souvent des sons purs — enchaînées dans une séquence. Ils sont produits par les mâles durant la saison de reproduction, bien que dans certaines espèces, les femelles puissent également chanter. Ces vocalisations sont complexes, mélodiques, et souvent de longue durée. Elles peuvent être comparées à une forme d’art, chaque espèce possédant son propre «répertoire» qui peut inclure une variété de motifs mélodiques, de tessitures et d’intensités. Certains de ces chants sont des ritournelles, successions inlassables de répétitions (Pouillot véloce, Pigeon ramier), d’autres en revanche sont des improvisations, longues et talentueuses, dignes des meilleurs jazzmen (Merle noir, Grive musicienne, Rouge-gorge familier) !

Le chant a plusieurs fonctions :

  • Le chant est un moyen par lequel les mâles séduisent les femelles. Un chant complexe et particulièrement soigné témoigne du fait que le chanteur est manifestement un partenaire sain et génétiquement supérieur.
  • Les chants permettent également de délimiter et de défendre le territoire. Un mâle chantant vigoureusement incite ses rivaux à tenir leurs distances.
  • Le chant est enfin un moyen pour les partenaires de se reconnaître, notamment dans les zones densément peuplées, car chaque individu a une signature vocale qui lui est propre.

Les chants requièrent un apprentissage, par imitation d’un ou plusieurs tuteurs. Les jeunes oiseaux doivent s’entraîner avec opiniâtreté avant de devenir des maestros aptes à impressionner et séduire les femelles !

Les chants d’une espèce peuvent se décliner en dialectes locaux, avec des variations notables d’une région à l’autre comme nos accents provinciaux  !  Ainsi, l’analyse récente de plus de 2700 enregistrements d’échanges entre perruches à collier a montré que ces oiseaux communautaires développent des dialectes et des cultures distinctes à mesure que leurs populations s’éloignent. Et ce en quelques décennies seulement, car, figurez-vous, venues d’Amérique en cages, elles ne volent en liberté dans les villes d’Europe que depuis 1975. [2]

Pourquoi crier de la sorte ?

Les cris des oiseaux sont des vocalisations de courte durée, de structure souvent complexe – c’est-à-dire qu’ils sont constitués par plusieurs fréquences produites en même temps, ayant ou non un rapport harmonique entre elles. Les cris ont plusieurs fonctions :

  • Alertes de danger : Les cris peuvent indiquer la présence d’un prédateur, permettant aux autres oiseaux de réagir rapidement, que ce soit par le camouflage ou la fuite.
  • Coordination sociale : Dans le cas des espèces grégaires, les cris facilitent la coordination du groupe lors des déplacements ou lors de l’alimentation. Aaaah, le cri déchirant des oisillons affamés dans le nid !
  • Localisation : Les cris permettent aux oiseaux de se localiser mutuellement dans des environnements vastes ou visuellement obstrués.

La plupart des cris sont produits sans apprentissage préalable, et sont donc majoritairement innés. Contrairement aux chants, les cris sont utilisés toute l’année et ne sont pas limités à la saison des amours.

Phénologie des chants d’oiseaux : les 4 saisons de Vivaldi

Au printemps, l’air se remplit de mélodies complexes et mélodieuses, car c’est la saison des amours. Les mâles déploient leurs plus beaux chants pour tenter de séduire une belle et/ou pour défendre leur territoire. Au lever du jour, ce sont de véritables concerts matinaux, connus sous le nom de « chœur de l’aube« , un spectacle sans pareil, si bien décrit par Emily Dickinson :

The Birds begun at Four o’clock
Their period for Dawn
A Music numerous as space
But neighboring as Noon

L’été voit une légère diminution de l’intensité des chants. Beaucoup d’oiseaux sont occupés à nourrir leurs jeunes et se font plus discrets pour ne pas attirer l’attention sur leur nid. Cependant, certaines espèces, comme le Rossignol philomèle, continuent leurs sérénades nocturnes, profitant de la douceur des nuits estivales.

À l’automne, le paysage sonore change de nouveau. Si les chants se font plus rares, ils n’en disparaissent pas pour autant. Certains oiseaux migrateurs annoncent leur départ ou leur arrivée par des appels spécifiques, tandis que d’autres, qui restent tout l’hiver, commencent à modifier leur répertoire en prévision de la saison froide.

L’hiver semble à première vue silencieux, mais si l’on prête attention, on peut entendre des chants d’oiseaux, plus simples et moins fréquents certes, mais toujours présents. Ces chants, souvent émis par les espèces qui ne migrent pas, servent à maintenir le lien social au sein du groupe ou à revendiquer un territoire en vue du printemps suivant.

Chronologie des chants d’oiseau : jour et nuit

Les chants d’oiseaux varient non seulement selon les saisons, mais également selon l’heure de la journée, chacun suivant son propre rythme dans le grand concert de la nature. Cette variation circadienne reflète les comportements adaptatifs des oiseaux en réponse à leurs besoins écologiques, sociaux et de reproduction. Voici quelques éléments clés à considérer :

Le chœur de l’aube. Période de grande activité, juste avant et pendant les premières lumières de l’aube, de nombreux oiseaux entament leur « concert de l’aube ». Ce phénomène est particulièrement marqué au printemps et en été. 

À la mi-journée. Durant la journée, surtout aux heures les plus chaudes, l’activité de chant diminue. Les oiseaux sont alors plus occupés à se nourrir et peuvent chercher à éviter la chaleur excessive. Certaines espèces, notamment celles qui vivent dans des habitats très denses comme les forêts, peuvent continuer à chanter pour maintenir la communication au sein de l’habitat complexe où la visibilité est réduite.

Au crépuscule, comme au lever du jour, l’activité de chant augmente. C’est un moment pour réaffirmer sa présence sur le territoire ou pour un dernier appel à un potentiel partenaire avant la nuit.

La nuit, bien que la plupart des oiseaux soient silencieux, les chouettes, les hiboux et les rossignols sont actifs et chantent.

De l’influence de la pollution lumineuse et sonore sur les chants d’oiseaux

La thèse de Guillaume Corbeau [3] montre que lorsque le bruit anthropique (des moteurs thermiques essentiellement: camions, voitures, deux-roues, aéronefs) et les lumières artificielles augmentent, les oiseaux ont tendance à chanter plus tôt et plus intensément, ce qui est le cas les jours de semaine, en comparaison des week-ends. 

Où l’on apprend qu’il existe des imitateurs !

Jean Boucault et Johnny Rasse [4]  ont commencé à imiter les chants d’oiseaux pendant leur enfance. Ils en ont fait leur métier et savent imiter au moins 500 espèces d’oiseaux. Il se dit, sur la lande, que parfois les oiseaux leur répondent !

Il est également des oiseaux imitateurs :  en France, le roi des imitateurs est l’Etourneau sansonnet. Il imite d’autres oiseaux, mais peut aussi apprendre à imiter des grenouilles, chiens, chats,  bruits d’appareils et voix humaine quand il est dressé [5]. L’Hypolaïs polyglotte (qui porte bien son nom !), le Tarier des prés, la Fauvette des jardins et le Verdier d’Europe seraient également des imitateurs talentueux ! On ne peut s’empêcher de penser que ces imitateurs compliquent quelque peu la tâche des ornithologues débutants tentant, laborieusement, d’identifier les oiseaux, souvent cachés, par leur chant!

Tous les téléphones modernes, pour peu qu’ils soient équipés du bon logiciel, peuvent chanter et crier comme des milliers d’oiseaux. Attention cependant, cette opération ne doit être exécutée que dans le salon, jamais dans le jardin, dans la forêt ou dans les prés, le dérangement sonore des oiseaux, comme le dérangement physique, pouvant occasionner à ces oiseaux bien des misères !

Nous verrons, dans un prochain article comment apprendre à identifier les oiseaux par leur chant ou leur cri. En attendant, lors de chaque sortie dans la nature, apprenons à écouter, en faisant silence et en bougeant peu. La richesse sonore de nos paysages ne manquera pas, chaque fois, de nous étonner et de nous émerveiller! Non contents d’enchanter nos yeux de leurs plumages chatoyants, les oiseaux enchantent également nos oreilles, et avec quel talent !

Ecoutez-en quelques uns ici, si le cœur vous en dit, bien sûr !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Comment et pourquoi les oiseaux chantent-ils ? Fanny Rybak. Planet vie
  2. Multilevel Bayesian analysis of monk parakeet contact calls shows dialects between European cities Simeon Q Smeele, Stephen A Tyndel, Lucy M Aplin, Mary Brooke McElreath. Behavioral Ecology, Volume 35, Issue 1, January/February 2024
  3. Phénologie du chant des oiseaux le long d’un gradient de pollutions sonores et lumineuses. G. Corbeau. Univ. Rennes
  4. Jean Boucault et Johnny Rasse : Les chanteurs d’oiseaux
  5. Vidéo de l’étourneau sansonnet imitateur.

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