Silence, là-dessous !


En 1956 sortait le 2e film sous-marin de l’histoire, produit par J-Y Cousteau, et intitulé « le Monde du silence ». On a appris depuis que ce Monde du silence est bien loin d’être silencieux. Depuis des décennies en effet, des chercheurs « écoutent » sous la surface des océans pour détecter la présence d’animaux, étudier leurs comportements et leur cohabitation – souvent difficile – avec l’Homme. Baleines, cachalots, orques, dauphins, phoques, morses… autant de mammifères dont la signature sonore est bien connue. Néanmoins, comme sur terre, les paysages sonores des mondes sous-marins se décomposent en 3 catégories : la géophonie, l’anthropophonie et la « biophonie »

L’eau de mer est 1000 fois plus dense que l’air, et les sons s’y propagent plus vite et plus loin. La vitesse du son dans l’air à 15 °C au niveau de la mer est d’environ 1224 km/h. Dans l’eau, le son se propage près de quatre fois plus vite, à environ 5400 km/h. La surface de l’eau renvoie presque tous les sons, comme un miroir acoustique. Le son est comme canalisé et se propage plus loin dans l’eau.

La géophonie est l’ensemble des sons produits par la planète, comme le vent, les vagues se brisant sur les rochers ou déferlant lors des tempêtes, les craquements de la banquise, les orages, les volcans…

L’anthopophonie est l’ensemble des sons, ou plutôt des bruits, produits par Homo sapiens avec ses navires de surface, ses sous-marins, ses aéronefs, ses installations pétrolières, ses activités minières, ses sonars civils et militaires et toutes sortes d’activités industrielles ou touristiques. Cette pollution sonore sous-marine constitue une menace grave pour la vie marine, impactant toutes les espèces marines et perturbant radicalement le comportement des animaux dans leurs communications, leur navigation, leur alimentation, leur sécurité et leur reproduction.

La biophonie est l’ensemble sons générés par la faune sous-marine : cétacés, crustacés et poissons principalement.

Pour communiquer, les espèces sous-marines se partagent l’espace acoustique pour mieux se faire entendre, se répartissant les fréquences, dans le temps et dans l’espace, pour éviter qu’elles ne chevauchent celles des autres. Pour cela, elles utilisent des fenêtres temporelles où leur son est dominant et où peu d’espèces risquent d’interférer avec elles. Et cette répartition de la fréquence vaut d’ailleurs sous la mer mer comme sur terre.

On pourrait presque constituer un orchestre symphonique sous-marin, sans y inviter les cétacés célèbres pour leurs vocalises (qui sont de véritables langages) !

  • Les sciénidés (maigres et corbs) jouent du tambour avec leur vessie natatoire. Les maigres de nos eaux font tant de bruit qu’ils peuvent être pêchés « à l’oreille » dans le Sud-Ouest entre avril et septembre. En posant la tête sur le fond d’une barque, le pêcheur détecte leurs grognements caractéristiques. Leurs cousins méditerranéens, les corbs sont plus petits mais tout aussi bavards
  • Les poissons-chats jouent de leurs nageoires et déclenchent de véritables stridulations (vibration de lames grattées avec une râpe) comme les crécelles ; ils jouent également du tambour avec leur vessie natatoire.
  • Les carangues et les perches soleil font grincer leurs mâchoires.
  • Le poisson-clown, la morue, le grondin, le Saint-Pierre sont également capables d’émettre des sons
  • L’hippocampe joue du xylophone avec les plaques osseuses de son cou.
  • Le gobie est un joueur d’instrument à vent qui siffle sous l’eau des flaques d’eau sur l’estran, on ignore encore comment il procède.
  • Les rascasses jouent de la guitare, faisant vibrer des tendons jouant le rôle de cordes.
  • La seule violoniste de la bande est la langouste, qui frotte ses antennes sur deux pièces de sa carapace sur sa tête, comme on frotte l’archet sur les cordes d’un violon, produisant des sons allant jusqu’à 167 décibels pour les plus gros spécimens, et perceptibles jusqu’à 3 kilomètres, estiment des chercheurs dans leur étude publiée dans le journal Scientific Reports.
  • Les crevettes émettent des cliquetis, discrets mais audibles ! Et je ne parle pas de la percussionniste en chef qu’est la crevette pistolet !

La mer serait le Monde du silence ? Quelle blague !

Bibliographie

  1. Pollution sonore des océans : les mammifères marins menacés par le bruit des activités minières. Géo
  2. Bill François. Les génies des mers. Ed. Flammarion
  3. Jézéquel, Y., Chauvaud, L. & Bonnel, J. Spiny lobster sounds can be detectable over kilometres underwater. Sci Rep 10, 7943 (2020)
  4. Evolutionary Patterns in Sound Production across Fishes Aaron N. Rice, Stacy C. Farina, Andrea J. Makowski, Ingrid M. Kaatz, Phillip S. Lobel, William E. Bemis, Andrew H. Bass. Ichthyology & Herpetology, 110(1):1-12 (2022).

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