Silence, je marche !


Quand un paysage se tait, c’est qu’il y a un problème ! [5]

Après avoir randonné dans un lieu connu ou inconnu, les marcheurs racontent volontiers, les yeux pétillants, la beauté des paysages traversés, la munificence du coucher de soleil, les couleurs du chardonneret ou l’élégance du chevreuil croisés au hasard d’un chemin. Plein la vue !

Notre cerveau pourtant mobilise cinq sens (la vue, certes, mais aussi l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher) pour appréhender son environnement et prendre ses décisions. Il semble cependant que les randonneurs ne sollicitent que la vue, négligeant le toucher, l’odorat, le goût et surtout l’ouïe.

Les marcheurs apprécient les caresses du vent sur le visage et pestent contre le froid qui engourdit leurs mains, leurs pieds et leurs oreilles (toucher). Ils apprécient les délicates senteurs florales du printemps, le pétrichor (cette odeur  si spéciale de la terre après la pluie), et ils protestent quand ils passent devant une porcherie (odorat). À la belle saison, ils savourent avec gourmandise les cerises grappillées sur les basses branches ou les mûres délicatement dérobées au roncier (goût).

Je n’ai jamais rencontré aucun randonneur qui m’ait vanté le moindre émerveillement sonore après une balade dans la nature, fut-il guitariste, clarinettiste ou chanteur marin ! Des 5 sens énumérés plus haut, l’ouïe semble être le « sens interdit » ⛔️ des marcheurs. Qu’importent les sons, au diable les silences, semblent-ils nous dire! D’ailleurs, le randonneur est volontiers bavard et ses papotages rendent vaines toutes les tentatives d’écouter la nature !

Pourtant, quel plaisir que celui de marcher, sans bruit, en se laissant envahir par l’ambiance sonore du paysage traversé : le doux chuintement du vent dans les arbres, le chant des oiseaux dans le sous-bois, la furie des vagues s’écrasant sur la côte rocheuse ou caressant la plage de sable fin, le vrombissement des insectes, et, suprême délice, le tambourinement de la pluie sur les feuilles.

Finalement, un paysage ne serait-il pas plus beau si l’observateur, mobilisant ses 5 sens, prenait la peine de l’examiner dans ses multiples dimensions, visuelle certes mais aussi sonore ?

L’idée m’est donc venue d’organiser une randonnée furtive, qui consisterait à parcourir dans un silence monacal et en ouvrant grand ses oreilles, divers milieux (village, plaine, bois ou forêt, bord de mer ou ruisseau) susceptibles de nous offrir de nombreux émerveillements sonores. 

C’est la lecture d’un intéressant ouvrage, intitulé «  Histoire naturelle du silence » qui inspira cette idée. L’auteur invite à la contemplation des paysages sonores et distingue les sons de la « géophonie » produits par la planète (le vent, la pluie, les ruisseaux, les vagues, les chutes de pierre)  les sons de la « biophonie »  (générés par les animaux comme les mammifères, les oiseaux ou les insectes) et les sons de « l’anthropophonie » produits par Homo sapiens et qui, parfois plaisants (chants, musique, cloches), sont cependant souvent des bruits, volontiers déplaisants et perturbateurs (moteurs, avertisseurs, sirènes… )

Je laisse le mot de la fin à Bernie Krause, docteur en bioacoustique à l’Union Institute & University de Cincinnati : « Tandis qu’une image vaut mille mots, une image sonore vaut mille images ».

Pour aller plus loin, quelques ressources passionnantes :

  1. Histoire naturelle du silence. Jérôme Sueur
  2. La voix du monde naturel. Conférence TEDx de Bernie Krause
  3. La géophonie, à l’écoute des sons de la Terre. Muséum National d’Histoire Naturelle
  4. La géophonie, ou la musique de la Terre. France-Inter
  5. Biophonie : écoutez la grande symphonie du vivant. Géo.fr
  6. La musicalité du vivant et ses curiosités. Nourritures terrestres
  7. Quand un paysage se tait, c’est qu’il y a un problème. Le Temps

2 réflexions sur “Silence, je marche !

  1. Pingback: Anthropophonie marine | Mirabilia naturae

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