Rencontres inattendues en baie du Mont

© Michel Arnould

La nuit est encore bien noire. La mélodie fringante du réveil nous tire cruellement d’un profond sommeil. Il est temps de se lever, et de se préparer pour une journée fort inhabituelle : nous sommes en effet conviés à accompagner un ornithologue de renom dans la baie du Mont Saint-Michel, où la matinée sera consacrée au comptage des oiseaux d’eau dans le cadre des Wetlands International, opération coordonnée par l’ONG éponyme, qui se déroule, depuis plus de 30 ans, simultanément dans cinq régions du monde (Afrique-Eurasie, Asie-Pacifique, Caraïbes, Amérique centrale et Néotropique) à la mi-janvier. La LPO explique bien le cadre et les enjeux de ce projet de science participative.

Nous retrouvons nos guides sur la digue de la Duchesse Anne.

Premier émerveillement de la journée : tandis que caquètent les Bernaches cravant, nous regardons l’aurore éclairer le Mont Saint-Michel et sa baie. Le soleil levant semble, comme Johnny, y allumer le feu ! Ces herbus ou prés salés sont les plus grands d’Europe, ils s’étendent sur 4000 hectares, d’un seul tenant, et leur réputation est internationale : c’est en effet un site à haute valeur paysagère et écologique.

On nous a prévenus : il ne saurait être question de s’aventurer sur ces herbus sans un accompagnateur avisé, les pièges y abondent, surtout lors des grandes marées susceptibles de submerger le terrain. Pas question non plus de partir sans de bonnes bottes, bien hautes si on veut garder les pieds au sec.

Bottes, jumelles, yeux aux aguets, nous sommes parés, et partons pour une marche de 30 mn, vers notre point d’observation. Nous marchons sur le schorre, recouvert de cette végétation halophile si particulière (salicornes, spartines, plantain maritime, chiendent des vases salées, troscart maritime, atropis, lavandes de mers, armoise.). Nous comprenons bien vite que nous ne cheminerons pas en ligne droite; nous enjambons, contournons ou sautons, avec plus ou moins d’élégance ces fameuses « criches », mot local désignant les petits canaux naturellement créés sur les herbus où s’écoule préférentiellement l’eau lors de la montée et de la descente des marées. De nombreux poissons profitent de la marée montante pour venir s’y nourrir ; les criches en effet, abritent Orchestia, un petit crustacé se nourrissant de la matière en décomposition provenant essentiellement de l’Obione faux-pourpier. Orchestia est la source d’alimentation principale des poissons tels que les mulets et des gobies, ainsi que les juvéniles de bars pour lesquels cette source de nourriture contribue à 90% de la croissance de leur première année de vie. (On en apprend tous les jours !)

Des chasseurs à l’affût dans leurs gabions nous observent. Nous marchons d’un bon pas et nous les oublions. Nous n’entendrons pas un seul coup de feu. Les seuls chasseurs qui nous gêneront sont les 4 Rafale de l’armée qui nous survolerons à 2 reprises.

Première rencontre avec un petit « campagnol» dont nous ne saurons jamais s’il s’agissait d’un Rat des moissons, d’une musaraigne ou d’une des 5 espèces de campagnols vivant dans la baie (Campagnol des champs, Campagnol agreste, Campagnol souterrain, Campagnol roussâtre, ou Campagnol amphibie). Paniqué, le petit mammifère ne nous a pas laissé de carte de visite.

Deuxième rencontre, fugace : un Hibou des marais vient de passer, identifié par notre expert sur son vol et son allure, nous l’avons vu sans avoir eu le temps, enfer et damnation, d’ajuster nos jumelles pour l’admirer plus en détail. C’est la première fois que j’entraperçois un hibou !

Troisième rencontre : une nuée de plus de 500 Linottes mélodieuses nous survole à belle allure ! Quel étonnant spectacle !

C’est alors que nous faisons notre 4e étonnante rencontre : deux hardes de sangliers, une dizaine d’individus, trottinent allègrement entre nous et les oiseaux, innombrables. Les ornithologues en sont fort marris pour ne pas dire affligés, car les ongulés courent sur la plage, entrent et sortent de l’eau, et effraient, maintes fois, les milliers d’oiseaux présents sur les plages qui s’envolent et se reposent, rendant leur comptage des plus délicats !

Sous les yeux émerveillés des observateurs, cependant, par milliers, Bernaches cravant, Tadornes de Belon, Courlis cendrés, Bécasseaux variables, Bécasseaux maubèches, Barges rousses, Huîtriers pie, Bécasseaux sanderling, Pluviers argentés dansent d’improbables sarabandes et illuminent le ciel de leurs féériques ballets ! C’est un ravissement pour les yeux comme pour l’esprit !

Les oiseaux ont été comptés, les fiches ont été remplies, la mission est accomplie. Sur le chemin du retour, nous avons le plaisir de croiser un Busard des roseaux puis un Busard Saint-Martin, au vol élégant et à l’allure majestueuse (panique dans les herbiers …) Nous écoutons le chant joyeux des Alouettes des champs, qui semblent nous dire au revoir, et, avant de retirer nos bottes et ranger nos jumelles, sur la haie, derrière les voitures, des Bruants zizi achèvent la représentation de cette matinée. Rideau, le spectacle est terminé. Terminé ? Mais non, pas du tout !

Les Bruants zizi n’étaient pas les acteurs du dernier acte de cette pièce mémorable. Il nous restait à faire une autre rencontre inattendue, ultime certes, mais exceptionnelle ! Une sorte de rappel comme l’aiment les acteurs ! Au cours du déjeuner, en effet, nous apprenons que des compteurs ont rencontré des Hiboux des marais, et qu’ils en ont recensé pas moins de 13 sur le même site. Sitôt réchauffés et rassasiés, nous retournons donc, le cœur battant la chamade, à l’endroit indiqué, pour assister non pas à un spectacle mais à un festival ! Le festival des Hiboux des marais, qui passent et repassent devant jumelles et lunettes, une fois de face, une autre de profil, et je me pose au sol, je décolle, je me pose sur un piquet, je vire, je plane, je plonge, je remonte. De véritables cabotins, mais élégants et majestueux. Nous les avons observés plus d’une heure, ces hiboux des marais. Il furent le clou de la journée. Voici un film de cet oiseau, dont je ne suis pas l’auteur hélas !

Quelle belle journée !

Bibliographie

  1. Pour en savoir plus sur les habitats de la Baie du Mont Saint-Michel
  2. Les hiboux des marais
  3. Le Bruant zizi

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